J’ai appris l’existence d’Aya Nakamura à l’occasion d’un énième fait du prince : Macron veut la faire chanter aux JO de Paris 2024. La faire chanter, oui, mais pas du Nakamura : le projet est de chanter Piaf. On y reviendra plus tard.

Du coup je suis allé écouter la dame, par curiosité. Et je n’ai pas été déçu : c’est de la bonne grosse merde.

Une certaine gauche, molle, chiante et convaincue d’être la bienfaitrice de l’humanité, essaie de nous faire passer l’anti-Nakurisme pour du racisme, tandis que la droite, jamais excessive, y va de la défense et conservation de la langue française et du bon usage, autrement dit des traditions… 1

Oh, les gars ! On n’a pas besoin de regarder comment elle s’habille, d’où elle vient ou de s’intéresser à ses textes,2 ça s’attaque très bien sur le plan musicologique. Sa musique, c’est de la merde. L’occasion est trop belle de définir ce qu’est la musique de merde, son mode opératoire et ses contours.

La musique non merdique

Peu importe son genre et son origine géorgraphique et culturelle, la musique se décompose en 4 aspects :

  • mélodie,
  • harmonie,
  • rythme,
  • orchestration.

Détaillons.

Mélodie

La mélodie est la partie qui accroche votre oreille si vous n’êtes pas musicien : c’est ce que vous chantez sous la douche. C’est en quelque sorte le discours de la musique. On peut réduire la musique à sa mélodie sans perdre le sens de la phrase, on perd alors une certaine profondeur et une certaine couleur, mais on reconnaît toujours le morceau ou la chanson.

Lorsqu’on joue à plusieurs, la mélodie est généralement confiée à l’instrument le plus aïgu (violon, flûte) ou aux sopranes dans les chœurs, pour être sûr qu’elle ressorte bien de l’ensemble, puisque c’est ce qu’on attend d’elle.

Suivant le niveau attendu de l’interprète, la mélodie va utiliser des intervalles (sauts) plus ou moins conjoints. Pour une mélodie facile à retenir et à chantonner, on suit la gamme de près, en utilisant surtout des enchaînements de notes conjoints, au maximum des tierces. En effet, plus les intervalles s’élargissent, plus on saute à des notes éloignées, plus c’est difficile d’être juste : il faut une bonne oreille et une bonne maîtrise de la technique vocale/instrumentale pour ne pas se vautrer à l’atterrissage. Les comptines pour enfants sont les exemples les plus basiques de mélodies conjointes.

La mélodie se décompose souvent en structures répétitives alternées, sous forme de question/réponse, couplet/refrain, exposition/développement/inversion. Il semble que le cerveau humain soit attiré par les motifs répétitifs, symmétriques, mais il est également rapidement lassé… La variété dans la répétition, c’est à dire l’alternance de phrases musicales imbriquées, permet de répéter sans lasser. Un juste milieu à trouver.

Harmonie

Une mélodie, c’est bien. Deux c’est mieux. Non seulement, ça permet d’avoir un contre-chant (deuxième voix) qui répond au chant (première voix), mais en plus, quand on empile deux mélodies l’une sur l’autre, on ajoute de la profondeur à l’ensemble en créant une harmonie. L’harmonie, pour faire simple, c’est l’empilement de plusieurs sons, joués simultanément, qui peuvent être consonnants (“agréables”) ou dissonants (“surprenants” voire “tendus”).

L’harmonie peut s’envisager sous forme de polyphonie (comme dans le chant grégorien), où l’on empile littéralement les mélodies invidiuelles, ou bien directement sous forme d’accords plaqués, joués à la guitare ou au piano (comme dans la pop et la folk), ou encore comme un savant mélange des deux dans le contrepoint (pratiqué avec virtuosité chez Bach, mais qu’on trouve massivement depuis dans la musique occidentale, y compris chez les Beatles).

Dès qu’on a plus qu’un son à la fois, on a des accords, et il va falloir veiller à ce qu’ils soient cohérent entre eux (progression harmonique) et cohérents avec la mélodie (respect du caractère initial). L’enchaînement des accords définit alors une progression harmonique qui permet un mouvement de flux/reflux pour ajouter de la richesse et des couleurs à la mélodie.

Là où la mélodie est “horizontale”, comme un fil qu’on déroule avec le temps, l’harmonie est “verticale”, comme des accords qu’on plante en soutien à la mélodie. Une même mélodie, servie par une harmonie différente, peut totalement changer de caractère (devenir plus sombre, plus planante, plus dynamique, etc.). Un exemple avec une ré-harmonisation de Hey, call me maybe de Carly Ray Jensen, qui était sur toutes les radios en 2012 :

Rythme

L’humain est un animal étrange chez qui le rythme provoque l’envie de danser. À la date où j’écris ceci, les biologistes n’ont trouvé que quelques spécimens exceptionnels de certaines espèces (perroquets, baleines, éléphants, singes) qui partagent aléatoirement ce qui paraît être un signe distinctif de l’espèce humaine.

Il existe globalement deux types de rythmes : les rythmes réguliers, où chaque note a la même durée sur toute une phrase, et les rythmes irréguliers où l’on alterne les notes courtes et les notes longues. Voyons un exemple avec le traditionnel Cadet Roussel, que je vous joue d’abord avec des rythmes réguliers, puis ensuite normalement, avec ses rythmes irréguliers :

La version régulière est un combat car il faut se forcer à aplanir le rythme, et je n’y arrive pas sans ralentir le tempo. C’est beaucoup plus fluide avec les rythmes d’origine.

Notez qu’il est possible de créer un rythme irrégulier à partir de rythmes réguliers (par exemple, des litanies de double croches), en posant des accents sur des contretemps. C’est un procédé qu’on retrouve beaucoup en musique folklorique irlandaise, par exemple le traditionnel Boil the breakfast early :

Tous les rythmes sont réguliers, si l’on s’en tient aux longueurs des notes, ce sont les accents placés à des endroits stratégiques qui donnent l’allant et le mouvement à la pièce. En revanche, il faut une certaine virtuosité pour réussir à accentuer seulement certaines notes, au milieu d’une suite, à la flûte ou au violon. C’est peut-être ce qui explique que la variété et la pop n’utilisent plus guère l’accentuation rythmique à l’instrument, mais refilent toute la partie rythmique aux percussionnistes. Dommage.

Orchestration

L’orchestration (ou arrangement), c’est la manière dont on répartit mélodie, contre-chant (s’il y a lieu), harmonie et support rythmique entre les différents instruments, en jouant sur les timbres, les couleurs, mais également les possibilités techniques de chaque instrument (et instrumentiste). Les possibilités sont riches, et ouvrent toutes sortes de jeux de question/réponse entre instruments

Qu’est-ce qui rend la musique non-merdique intéressante ?

En un mot, comme en cent : il s’y passe des trucs. Oui, le cerveau humain semble attiré par les structures géométriques répétitives (y compris en architecture), mais on se lasse de tout, et à ce moment là il nous faut surprise et imprévu. Mélodie, harmonie, rythme et orchestration ne sont pas des critères de validation à remplir, mais des outils à disposition pour créer de la variété dans la structure.

Voyons un exemple emprunté à Bach : la petite fugue en sol mineur.

Je vous joue le thème mélodique :

Voici la partition originale pour orgue :

Une transcription pour piano :

Une autre transcription pour orchestre :

Une dernière réinterprétation qui termine en jazz :

Cet exemple est intéressant, d’abord parce que la mélodie est simple et clairement identifiable, ensuite parce que son développement en fugue est incroyablement riche sans paraître “inutilement compliqué” (à la différence de beaucoup de musique savante écrite au XXe siècle). Alors, la musique intéressante est-elle nécessairement classique ? Certainement pas. Disons que la musique classique est simplement un cas particulier de musique construite et organisée après réflexion.

Un autre exemple, plus électro-pop, par dessus une polyphonie vocale :

Le cas Nakamura

J’avoue qu’écouter Nakamura pour faire l’exégèse de toute ce qui ne va pas est un exercice très pénible : ça ne s’écoute pas. L’abus d’autotune est proprement insupportable, je ne sais pas comment les gens tolèrent ça, c’est une véritable agression sensorielle. Je me suis surtout concentré sur Djadja ici, qui ressemble beaucoup à SMS, Dégaine, Méchante, etc. Apparemment, on en a écouté une, on les a toutes écoutées.

Nakamura n’a qu’une ligne rythmique, aux pads synthétiques, qui ne subit qu’une variation mineure (je la joue ici au clavier, vous m’excuserez j’ai fait quelques nuances…) :

Vous remarquerez que je suis incapable de tenir une pulsation stable tellement je m’emmerde. J’aurais pu enregistrer une mesure de chaque variation (donc deux), et les faire tourner en boucle, c’était pareil. C’est la même rythmique sur les 4 titres ci-dessus, si bien que je n’ai pas creusé les autres.

Nakamura est d’origine malienne. C’est dommage, parce qu’en matière de percussions, le Mali avait vraiment mieux à nous offrir :

Pour ce qui est de la mélodie, c’est compliqué. Nakamura navique autour d’une seule note, sans trop s’en éloigner. Mais ce que je trouve fascinant, c’est qu’on a un mal fou à dégager une phrase mélodique. D’abord parce qu’il n’y a pas de vraie ligne mélodique, mais plutôt des mouvements aléatoires autour de sa note de base. Ensuite, parce que l’autotune mal dosé créée une sorte de vibrato qui brouille les hauteurs de son encore d’avantage. D’où une question : les gens qui chantent Nakamura sous la douche, ils chantent quoi ?

La voix est creuse et froide, un peu nasale, presque parlée en fait.

Côté harmonie, c’est encore plus compliqué. Nakamura se double parfois elle même à la voix, en contre-chant, généralement avec des effets électroniques rajoutés lourdement (systématiquement, au moins un écho). Le temps de quelques accords, on a parfois un synthétiseur. Mais globalement il n’y a pas d’instruments, c’est à dire ni polyphonie, ni harmonie. Juste le beat aux pads qui tourne en continu. Sa musique est une fenêtre sans rideaux, on voit à travers.

Du coup, sans réelle mélodie et sans harmonie, pas de nuances, pas de phrasé, pas de modulation, aucun événement musical qui fait le sel de la musique. C’est monocorde, monotone, monochrome.

Enfin les textes… La langue ressemble au parler des cités, autrement dit c’est clivant de base, avec des emprunts à l’anglais et à l’espagnol (entre autres), mais également des mots absents du dictionnaire qui sont incompréhensibles si on ne vient pas de la cité. Le contenu tourne toujours autour d’histoires de prises de tête avec son mec, où elle se pose en femme forte et indépendante, qui n’a besoin de personne, et qui a prévu de se faire respecter. C’est le festival de la rime pauvre, mais finalement pas pire qu’un J.J. Goldman.

Si le personnage de femme forte issue d’un milieu difficile peut expliquer son succès chez un public francophone — et finalement, pourquoi pas s’identifier à ce modèle plutôt qu’aux lolitas des années 2000 —, le fait qu’elle soit la chanteuse francophone la plus écoutée dans le monde indique que c’est purement et simplement sa “musique” qui plait à l’étranger. Et là, moi, je ne comprends plus.

Musicalement, j’ai envie de dire que c’est vide, mais malgré le vide, ça parvient à être désagréable. La même ligne rythmique est réutilisée partout, mais à la limite… la musique classique a abusé de la basse d’Alberti 3 sans que ça ne gêne outre mesure, la Bossa nova utilise sensiblement la même rythmique, si on voulait absolument banir toutes les grosses ficelles, on ne pourrait plus rien écrire. L’autotune est tartiné tellement épais que ça lui fait une voix de répondeur robotique, où les dégoulinures chevrotantes sont franchement irritantes. Mais l’inexcusable, c’est qu’il ne se passe rien sur la partition, c’est vide : pas vraiment de mélodie, pratiquement pas d’instruments d’accompagnement et pas de chœur, donc on oublie l’harmonie. Finalement, dans ses clips, le plus intéressant est l’image, d’ailleurs ils sont plutôt bien filmés et les lumières sont toujours soignées (même si, là encore, j’aurais à redire sur la retouche des couleurs, qui manque de finesse).

Et c’est le manque de finesse de la retouche d’image qui me met sur la voie de la tendance générale : grossièreté. Grossièreté littérale du texte, grossièreté figurée de la musique, grossièreté des chorégraphies dans les clips, à base — comme partout depuis 10 ans — de twerking, grossièreté d’un travail basé sur l’accumulation d’effets électroniques mal dosés au point qu’on n’entend plus qu’eux.

Alors Piaf par Nakamura, ça donnerait quoi ? Piaf à l’autotune par dessus sa rythmique signature ? Une chose est sûre… Quand on invite un auteur-compositeur pour chanter la musique de quelqu’un d’autre, c’est qu’on est d’avantage intéressé par ce qu’il représente que par ce qu’il sait faire.


  1. Quand on aime vraiment les traditions, on essaie d’être cohérent avec ses principes, et on remet Marine le Pen dans sa cuisine, sans droit de vote ni compte en banque personnel. La traditionnite sélective, ça devient fatiguant. ↩︎

  2. violents, contestataires, nourris dans la rancœur sociale — peut-être justifiée, mais à consommer avec modération. ↩︎

  3. Moi compris. ↩︎