Je vois de plus en plus de vidéos sur YouTube, présentant des enregistrements dans la veine lofi enregistrées avec un la accordé à 432 Hz, au lieu du classique 440 Hz, et du plus moderne 442 Hz. Ce la est censé posséder un pouvoir mystique spécial, résonner particulièrement avec le vivant… bref, il guérit le cancer et fait même le café. C’est la fréquence de l’univers. Vraiment ?

De la fréquence de l’univers

Le son est une onde mécanique, ce qui signifie qu’elle ne se propage que dans un milieu matériel : air, eau, bois, métal, béton, etc. Ce sont des atomes et molécules qui vibrent autour de leur position de repos sous une stimulation externe, et active. Le son se propage d’autant mieux que le milieu matériel est dense et rigide : c’est le principe de la table d’harmonie, en bois, qu’on trouve dans le fond du piano, sous le kalimba, les boîtes à musique, ou en surface des guitares, violons, violoncelles, etc. L’exercice est très simple : tendez un élastique entre vos doigts, et grattez le comme une corde de guitare. Puis recommencez en le tendant, fixé à une table en bois. Lequel sonne le mieux ?

Or l’univers est composé majoritairement de vide sidéral, comprendre : entre les planètes, les étoiles, les astéroïdes, etc. il n’y a rien, que du vide. Un vide bien plus poussé que les barquettes de viande sous vide de votre supermarché. Pas exactement un milieu matériel. Le son n’a pas les conditions requises pour se propager dans l’univers.

On trouve bien des ondes, dans le vide, mais ce sont des ondes électromagnétiques. Et les fréquences de ces ondes électromagnétiques commencent autour de la centaine de megahertz (MHz), bien loin de 432 Hz. D’ailleurs, autour de la centaine de MHz, on est dans la bande des ondes radios FM, qui sont très vites atténuées car elles sont peu énergétiques. Il faut arriver proche du terahertz (THz), soit mille milliards de Hz, pour trouver les infra-rouges, qui peuvent effectivement traverser la galaxie et donc permettre au Soleil de nous chauffer.

Si l’univers a une fréquence caractéristique (ce qui n’a pas tellement de sens), ça ne peut clairement pas être une fréquence aussi basse que 432 ou 440 Hz.

Ce la n’est pas un la

Le la 432 ou 440 Hz est seulement une référence arbitraire pour l’accordage de l’instrument. On aurait pu décider d’accorder à partir du do, et donc de le fixer à 523 Hz. Mais ce n’est pas parce qu’un instrument est accordé en la 432 Hz que toute pièce jouée contient nécessairement des la. Par exemple, les gammes suivantes n’utilisent pas de la naturel mais un la bémol, abaissé d’un demi-ton chromatique :

  • la bémol majeur / sol dièse majeur, et fa mineur,
  • ré bémol majeur / do dièse majeur, et si bémol mineur naturel,
  • sol bémol majeur / fa dièse majeur, et ré dièse mineur/mi bémol mineur,
  • do bémol majeur / si majeur, et sol mineur,
  • fa bémol majeur / mi majeur, et do mineur,
  • si mineur mélodique.

Je rappelle qu’il existe 12 gammes majeures, et 12 mineures en musique occidentale. 6 de chaque, donc la moitié, ne contiennent pas de la naturel (bécarre). Ce qui veut dire que, même avec un instrument accordé sur un la 432 Hz, suivant la tonalité du morceau que vous écoutez, vous avez 50 % de ne pas entendre un seul la naturel. Peut-être même d’avantage, car do mineur, fa mineur et sol mineur sont archi-courants. Tout ça parce que le la est la référence arbitraire de notre accordage, notre rez-de-chaussée, et absolument un passage obligé des gammes musicales. Mais il est un peu compliqué de bénéficier des effets du la 432 Hz quand il n’y en a pas un seul dans la pièce écoutée…

Évidemment, la vague new-age n’hésite pas à prêter des vertus à des pièces dans lesquelles on n’a pas un seul la. C’est vous dire qu’en plus de n’avoir aucune étude sérieuse prouvant le bénéfice du la 432 Hz sur l’organisme, ils n’ont pas non plus pris la peine de vérifier la présence de ce fameux la dans le contenu dont ils vantent les mérites. On nage en plein délire mystique.

Le vrai bénéfice du la 432 Hz

Les instruments à cordes sont accordés en réglant la tension des cordes. Plus on veut un son aigu, plus on augmente la tension. L’accordage en 440 Hz (et a fortiori en 442 Hz) monte légèrement le ton, et requiert une plus grande tension, par rapport à un accordage à 432 Hz. Or les instruments du quatuor (violon, alto, violoncelle, contrebasse), et les violes possèdent une caisse en pièces de bois relativement minces, assemblées à la colle. L’accordage moderne, plus tendu, augmente donc les contraintes mécaniques sur des instruments fragiles et qui tiennent parfois grâce à de la colle tricentenaire. Autant dire que, à des fins de conservation du patrimoine, augmenter la fatigue mécanique de cette façon n’est pas une bonne idée.

Le goût musical semble avoir évolué, depuis 4 siècles, vers un son de plus en plus clair, brillant et donc plus haut. On a vu disparaître les instruments à bourdons (cornemuse, vielle à roue), la pratique de la pédale harmonique , et la famille des cromornes  (ancêtre du hautbois, en clairement plus nasillard), bref des pratiques musicales jugée « rugueuses » et qui donnaient un son « sale », en tout cas moins clair et moins pur, plus riche en harmoniques.

Dans le même temps, la taille des salles de concert n’a cessé de grandir, ce qui a fait apparaître le besoin d’instruments acoustiques plus sonores, qui portent plus loin. Monter le ton est l’une des stratégies possibles, pour améliorer légèrement ce paramètre. Sur les instruments à cordes frottées, une tension plus grande donne aussi une corde plus nerveuse et réactive, qui favorise un jeu rapide.

On pourrait donc trouver que le 440 Hz et plus participe à une tendance globale vers le m’as-tu-vu, un son plus clair (voire métallique) allié à une virtuosité clinquante qui contraste avec les qualités musicales recherchées par les tenants du 432 Hz : une forme de relaxation. Et pourquoi pas ?

Mais alors le sujet ici n’est alors ni la valeur 432 Hz, ni ses vertus supposées, mais simplement le fait d’accorder ses instruments un peu plus bas, voire carrément de revenir à des instruments baroques au son plus doux et chaleureux, mais qui demanderont des plus petites salles, en concert acoustique.

On accorde bien ses instruments comme on veut, mais il faut arrêter d’inventer des bénéfices fumeux, basés sur aucune étude, à partir de délires numérologiques.